lundi 7 décembre 2009

Petrone, écrivain sans initiale




De Petrone, que les latinistes traduisirent rarement au collège (il était, naguère, déconsidéré par l'Éducation nationale), on ne sait exactement l'année de la naissance, si l'on connaît celle de sa mort, c'est à dire de son suicide, parfaitement digne d'un romain classique et «classieux» : 66. Victime de ce qui ressemble à de la médisance et à un faux complot contre Neron, il fut sans doute contraint de quitter ce vain monde. On rapporte que, s'étant ouvert les veines, il les fit refermer, afin de jouir encore un peu de la conversation de ses amis présents. Enfin, il mourut.
Son œuvre unique connut un grand retentissement grâce au film de Federico Fellini, Satyricon.
Je l'ai vu à sa sortie, et je me souviens parfaitement de l'état d'esprit dans lequel je me trouvais après la projection. Submergé ! je ne savais plus rien de ce que je venais de voir. J'avais été comme aspiré par un trou d'antimatière, transporté dans un monde parallèle en train de se faire, en pleine dilatation : une féerie en expansion. Il me restait des images fixes, des visages qui m'interrogeaient, et la beauté sauvage d'Hiram Keller, de Magali Noël, de Max Born, l'accomplissement serein des traits lumineux de Lucia Bose.
On dit volontiers que Satiricon (sans y) forme un roman ; c'est assurément un récit romancé. Il ne nous est parvenu qu'en lambeaux, haché par de très grands manques, mais enfin, tel qu'il est, même si sa lecture n'est pas aisée, il peint en une fresque remarquable les mœurs et les comportement de son temps, qui ne sont pas sans rappeler celles et ceux du XVIIIe siècle français. Certains prétendent que Trimalcion ne serait autre que Neron, et que Petrone, avant de s'éteindre, aurait souhaité laisser un témoignage véridique sur les dérèglements dans lesquels l'empereur était tombé. Il est vrai qu'avant sa disgrâce, le poète avait l'oreille du tyran, au point qu'il fut surnommé arbiter elegantiarum ou arbitre des élégances. Cela est contredit par Héguin de Guerle, traducteur renommé de Petrone, qui assure qu'il s'agit du portrait de l'infâme Tigellin, responsable de la chute et de la mort de Petrone.
Voici la traduction, par Héguin de Guerle, d'un extrait du fameux banquet de Trimalcion :
« "Admirable !“ s’écrièrent à la fois tous les convives, en levant les mains au ciel : chacun de nous jurait qu’Hipparque ni Aratus ne méritaient d’être comparés à Trimalchion. Ce concert d’éloges fut interrompu par l’entrée de valets qui étendirent sur nos lits des tapis où étaient représentés en broderie des filets, des piqueurs avec leurs épieux, enfin, tout l’attirail de la chasse. Nous ne savions encore ce que cela signifiait, lorsque tout à coup un grand bruit se fait entendre au dehors, et des chiens de Laconie, s’élançant dans la salle, se mettent à courir autour de la table. Ils étaient suivis d’un plateau sur lequel on portait un sanglier de la plus haute taille. Sa hure était coiffée d’un bonnet d’affranchi ; à ses défenses étaient suspendues deux corbeilles tissues de petites branches de palmier, l’une remplie de dattes de Syrie, l’autre de dattes de la Thébaïde. Des marcassins faits de pâte cuite au four entouraient l’animal, comme s’ils eussent voulu se suspendre à ses mamelles, et nous indiquaient assez que c’était une laie : les convives à qui on les offrit eurent la permission de les emporter. Cette fois, ce ne fut pas ce même Coupé, que nous avions vu dépecer les autres pièces, qui se présenta pour faire la dissection du sanglier, mais un grand estafier, à longue barbe, dont les jambes étaient enveloppées de bandelettes, et qui portait un habit de chasseur. Tirant son couteau de chasse, il en donne un grand coup dans le ventre du sanglier : soudain, de son flanc entr’ouvert, s’échappe une volée de grives. En vain les pauvres oiseaux cherchent à s’échapper en voltigeant autour de la salle ; des oiseleurs, armés de roseaux enduits de glu, les rattrapent à l’instant, et, par l’ordre de leur maître, en offrent un à chacun des convives. Alors Trimalchion :
— Voyez un peu si ce glouton de sanglier n’a pas avalé tout le gland de la forêt.
Aussitôt les esclaves courent aux corbeilles suspendues à ses défenses, et nous distribuent, par portions égales, les dattes de Syrie et de Thébaïde.»


Ah ce Petrone là avait bien du talent, et ne méritait nullement de n'être connu que de ses initiales ! Je vous en parlerais une nuit entière, mais je vois que je vous ennuie déjà…




Fellini s'est déclaré fasciné par l'aspect lacunaire du récit de Petrone, les parties manquantes lui permettant d'imaginer l'Antiquité romaine à la manière d'«une grande galaxie onirique, plongée dans l'obscurité, au milieu de l'étincellement d'éclats flottants qui sont parvenus jusqu'à nous. Je crois que j'ai été séduit par la possibilité de reconstruire ce rêve, sa transparence énigmatique, sa clarté indéchiffrable



Fellini Satyricon
Réalisateur: Federico Fellini, scénario de Federico Fellini et Bernardino Zapponi avec la collaboration de Brunello Rondi, d’après l’oeuvre attribué à Caius Petronius Arbiter dit Pétrone, traduction du latin par Luca Canali, musique: Nino Rota assisté d’Ilhan Mimaroglu, Tod Docksader et Andrew Rudin, conception des décors, Federico Fellini, producteur, Alberto Grimaldi. Directeur de production: Roberto Cocco.
Production : PEA, Rome et Les artistes associés, Paris. Origine : Italie - France.
Distributeur: Artistes associés.
Première : Biennale de Venise, le 4 septembre 1969.

Interprétation:
Martin Potter (Encolpe), Hiram Keller (Ascylte), Max Born (Giton), Mario Romagnoli (Trimalchion), Magali Noël (Fortunata), Capucine (Trypténe), Fanfulla (Vernacchio), Danika La Loggia (Scintilla), Giuseppe Sanvitale (Habinnas), Genius (l’affranchi enrichi), Gordon Mitchell (le voleur), Capucine (Triphène), Donyale Luna (Oenothée), Salvo Randone (Eumolpe), Alain Cuny (Lichas), Tanya Lopert (l’empereur, César), Joseph Wheeler (le père de famille, le praticien), Lucia Bose (la mère de famille, la praticienne), Hylette Adolphe (l’esclave orientale), Marcello Di Falco (le proconsul), Elisa Mainardi (Arianne), Carlo Giordana (le capitaine du navire), Silvio Belusci (le nain), Maria de Sisti (la grosse du bordel), Pascale Baldassare (l’hermaphrodite), Luigi Montefiori (le Minotaure), Giuseppe San Vitale (Albinna), Lina Alberti (l’idole d’or/partie coupée au montage).

5 commentaires:

Jérôme Leroy a dit…

Il y a des écrivains qui n'ont pas de chance tout de même. J'ai pour exact homonyme un foutbauleur et Pétrone un foutreux

Anonyme a dit…

Cher Patrick, est-ce perfidie de ma part, ou faut-il voir dans ce beau billet une... satire de certain analphabète qui dessert le beau nom de Pétrone ?

Patrick Mandon a dit…

J'espère que votre foutbauleur joue bien, est habile du pied, enfin qu'il porte avec élégance votre nom ; dans le cas de ce pauvre Petrone, son homonyme numérisé lui est une honte permanente !
Hier, je me suis replongé dans Satiricon ; il y a de grands moments, d'excellents dialogues et un esprit qu'on retrouvera en France, chez Rabelais.
So long, J., et, comme vous le dites, «le pont des français tiendra !».

Patrick Mandon a dit…

Chère Nadia, cet analphabète est une satire permanente et involontaire de lui-même.
J'ai acheté ce soir le DVD du film de Fellini. Cette semaine, je compte aller visiter l'exposition consacrée au grand Federico. J'en rendrai compte ici.
Vous êtes une fameuse épée…

Anonyme a dit…

Dans mon souvenir, il était entièrement en latin ?
Mon épée ne vaut rien du tout sans quelques chevaliers.