dimanche 27 juin 2010

Émilie dans la tempête 5 et fin (provisoire ?)

Voici un garçon qui se retourne sur toutes les femmes, s'engouffre dans leurs sillages, papillonne, vole de l'une à l'autre, se pose sur l'épaule de celle-ci alors qu'il observe le mouvement des hanches de celle-là et découvre la chute de reins d'une troisième. Il est insatiable, il désire toujours une ombre nouvelle, s'enfuit après chacun de ses tendres forfaits, se lasse après qu'il a enlacé… Il n'aime que plaire, mais jamais à la même, et encore séduire, et plusieurs à la fois.




Mais ce même charmant garçon, «traînant tous les cœurs après lui», adoré des coquettes, volage au plus haut point, a croisé Émilie, la brune aux yeux de braise. Sous l'effet du sentiment-sorcier qui vous fait d'un prédateur de l'amour un cocker fidèle et dévoué, il n'entend, ne voit, ne désire plus que la méditerranéenne volcanique.
La preuve :



Film : Un soir de réveillon, 1933.
Réalisé par Karl Anton ; avec Henry Garat, Arletty, Meg Lemonnier, Dranem

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Mais je l'ai reconnu, c'est Octave Mouret, le plus beau mâle de la littérature française. Heureuse Emilie.

anne a dit…

Ces extraits me rappellent la très triste fin d'Henri Garat:
http://www.chanson.udenap.org/fiches_bio/garat_henri/garat_henri.htm

Et n'a-t-on pas l'impression, dans ces extraits, qu'Arletty a mille fois plus de force vitale que lui...
Forza femina!

Patrick Mandon a dit…

Chère Anne, cette mort d'un homme qui fut célèbre est en effet émouvante. Et vous avez raison, Arletty dégage une énergie qui ne l'a d'ailleurs jamais abandonnée. J'ai eu le bonheur de passer un après-midi entier en sa compagnie ; impeccable dans son tailleur veste-pantalon blanc cassé, elle interrompait son récit de son fameux rire perlé de parisienne née à Courbevoie.
Chère Nadia, je ne voyais pas Mouret ainsi : dans l'apparence, Henri Garat est très «années trente» ; et puis Mouret me semble moins «à l'extérieur», moins dissipé. Qu'en pensez-vous, belle roumaine de Paris ?

Anonyme a dit…

Cher Patrick, plus que le style, effectivement très année 30, c'est le personnage de séducteur finalement enchaîné qui me faisait penser à Mouret. Parce qu'il était quand même fort dissipé le bel Octave. Puis vint Denise.

anne a dit…

Octave et Denise, une des scènes les plus troublantes pour la jeune lectrice que j'étais: la rencontre dans le magasin la nuit, à peine animé par les voix indistinctes des vendeurs dormant sur leurs lits de camp dans les rayons, et qui rêvent à haute voix". Et Denise, avec "ses beaux cheveux épeurés"... cette expression me fascinait. L'ai-je inventée?

Patrick Mandon a dit…

Nadia, je trouve votre bref développement très pertinent (vous êtes très bien également en impertinente !).
Anne, vous avez bien lu :
«[…] Là, un tonnerre l'inquiéta, le ronflement sonore de Joseph, le garçon qui dormait derrière les articles de deuil. Elle se jeta vite dans le hall, que le vitrage éclairait d'une lumière crépusculaire ; il semblait agrandi, plein de l'effroi nocturne des églises, avec l'immobilité de ses casiers et les silhouettes de ses grands mètres, qui dessinaient des croix renversées. Maintenant elle fuyait. À la mercerie, à la ganterie, elle faillit enjamber encore des garçons de service, et elle se crut seulement sauvée, lorsqu'elle trouva enfin l'escalier. Mais, en haut, devant le rayon des confections, une terreur la saisit en apercevant une lanterne, dont l'oil clignotant marchait : c'était une ronde, deux pompiers en train de marquer leur passage aux cadrans des indicateurs. Elle resta une minute sans comprendre, elle les regarda passer des châles à l'ameublement, puis à la lingerie, épouvantée de leur manouvre étrange, de la clef qui grinçait, des portes de tôle qui retombaient avec un bruit de massacre. Quand ils approchèrent, elle se réfugia au fond du salon des dentelles, d'où le brusque appel d'une voix la fit aussitôt ressortir, pour gagner la porte de communication en courant. Elle avait reconnu la voix de Deloche, il couchait dans son rayon, sur un petit lit de fer, qu'il dressait lui-même tous les soirs ; et il n'y dormait pas encore, il y revivait, les yeux ouverts, les heures douces de la soirée.
- Comment ! c'est vous, mademoiselle ! dit Mouret, que Denise trouva devant elle, dans l'escalier une petite bougie de poche à la main.
Elle balbutia, voulut expliquer qu'elle venait de chercher quelque chose au rayon. Mais il ne se fâchait point, il la regardait de son air à la fois paternel et curieux.
- Vous aviez donc une permission de théâtre ?
- Oui, monsieur.
- Et vous êtes-vous divertie ?... À quel théâtre êtes-vous allée ?
- Monsieur, je suis allée à la campagne.
Cela le fit rire. Puis, il demanda, en appuyant sur les mots :
- Toute seule ?
- Non, monsieur, avec une amie, répondit-elle, les joues empourprées, honteuse de la pensée qu'il avait sans doute.
Alors, il se tut. Mais il la regardait toujours, dans sa petite robe noire, coiffée de son chapeau garni d'un seul ruban bleu. Est-ce que cette sauvageonne finirait par devenir une jolie fille ? Elle sentait bon de sa course au grand air, elle était charmante avec ses beaux cheveux épeurés sur son front.
Et lui qui, depuis six mois, la traitait en enfant, qui la conseillait parfois, cédant à des idées d'expérience, à des envies méchantes de savoir comment une femme poussait et se perdait dans Paris, il ne riait plus, il éprouvait un sentiment indéfinissable de surprise et de crainte, mêlé de tendresse. Sans doute c'était un amant qui l'embellissait ainsi. À cette pensée, il. lui sembla qu'un oiseau favori, dont il jouait, venait de le piquer au sang.
- Bonsoir, monsieur, murmura Denise, en continuant de monter, sans attendre.
Il ne répondit pas, la regarda disparaître. Puis, il rentra chez lui.»

anne a dit…

Merci Patrick!
Du coup (quelques... décennies après avoir laissé jouer librement en moi cette expression ), je me décide à chercher le sens d'"épeuré". Et bien, Littré l'ignore! Robert a bien "épeurer ""faire peur", mais comment appliquer aux cheveux le participe?
Si cette expression m'a fait rêver, c'est qu'elle joue sur "apeuré', aussi, qu'elle m'a suggéré la peur de la rencontre de l'homme, la nuit...
Sacré Zola! Qu'y mettait-il, lui?

Patrick Mandon a dit…

Anne, ce mot m'a interloqué, en effet : quel sens lui donner ? Denise est proprement surprise (surprendre au sens où l'entend M. Littré), elle est effrayée. Ses cheveux se hérissent-ils, manifestant ainsi son trouble intérieur ? Cependant, il ne s'agit pas d'une grande frayeur, mais d'un émoi : ses cheveux «crépitent», forment, sur le devant, une petite haie d'émotion…
Le débat est ouvert.

Patrick Mandon a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

On est au début du roman, Denise n'est encore qu'une jeune fille craintive qui ignore la femme troublante qu'elle deviendra. Elle a peur de tout, un rien l'effraie. Mouret, surtout. Elle comprendra plus tard.
Sacré Zola. Comment rendre un grand magasin plus sensuel qu'un harem. Moi j'aimais beaucoup sa description des pantalons féminins "où viendraient danser les reins d'un homme". Quand on a 12 ou 13 ans, cela laisse songeuse. Face aux britanniques Darcy, Heathcliff ou Rochester, il se défend très bien notre séducteur qui fait le Bonheur des Dames. A la française. Moins sombre, plus charmant.

Patrick Mandon a dit…

Excellent, belle roumaine, encore, encore !