mardi 8 juin 2010

Mon plus vieil ami

Cela se passait à la fin des années soixante-dix. Je venais de lire, de Michel-Georges Michel, l'Epoque Tango, ou la vie mondaine pendant la guerre ; une suite de notations, de choses vues, de croquis sur le vif. Pour le décor, Deauville et Paris ; pour les figures, les stars de l'époque, comédiennes, princes, cocottes, peintres ; et le tout pendant la Première guerre mondiale. Champagne, rire, volupté : l'anti-patriotisme, où plutôt l'absence de patriotisme. Un style concis, rapide, très neuf : du journalisme en train de s'inventer.
L'auteur était né en 1883. Je connaissais alors très bien un vieux libraire spécialiste des livres anciens, dont la boutique se trouvait près du joli square des Batignolles. Je lui dois beaucoup ; il m'a fait lire tous les écrivains qu'on ne lit pas au collège, ni à l'université : les petits maîtres, les tordus, les oubliés, les égarés. Il aimait que je vienne lui rendre visite. Je m'asseyais, il parlait ; puis il plaçait quelques livres, qu'il m'avait destinés, sur le bord du comptoir. Il s'appelait M. Thébault. C'était un intellectuel modeste, un très fin lecteur, un esprit. Par lui, j'avais lu Michel-Georges Michel. Je ne sais ce qui me poussa à chercher ce nom dans l'annuaire, mais je l'y trouvai. J'appelai. Une voix de rogomme me répondit : «Michel-Georges Michel, c'est moi, jeune homme !». Nous convînmes d'un rendez-vous chez lui, près des Champs-Élysées.
C'est ainsi que j'ai rencontré celui qui allait devenir mon plus «vieil ami». Pendant huit ans, je lui rendrai visite régulièrement, m'enchantant de ses récits et des figures que sa seule mémoire faisait surgir. Il avait commencé très tôt dans la presse, dès l'âge de quinze ans, portant d'abord les dépêches, puis montant un à un les degrés du journalisme, depuis «les nouvelles à la main» jusqu'à la chronique régulière. Aujourd'hui, son œuvre et son nom sont oubliés, mais il fut, entre les deux guerres, une éminente personnalité des arts. Très lié aux principaux peintres de l'Avant-garde, il avait «tourné» avec les Ballets russes, comme secrétaire de Serge de Diaghilev. L'un de ses livres, Les Montparnos, connut un grand succès et fut adapté au cinéma par Jacques Becker sous le titre Montparnasse 19, avec Gérard Philippe, Anouck Aimée, Lino Ventura. L'histoire est celle des derniers moments de Modigliani, de sa rencontre avec Jeanne Hébuterne, de leur fin misérable.
Par Michel-Georges Michel (MGM), je croisai Boris Kochno, et je rencontrai Serge Lifar. Ce dernier me fit un précieux cadeau, que je vous montrerai demain.
(à suivre)

J'ai trouvé cet extrait du film Montparnasse 19, curieusement doublé en russe, mais on perçoit les voix françaises. C'est encore plus irréel. Magnifiques visages des deux comédiens. La femme élégante au chapeau blanc se nomme Lili Palmer ; sa vie est un roman.

38 commentaires:

Corinne a dit…

Je ne connaissais pas la passion qui unît Modigliani et Jeanne, elle finît bien tragiquement. Elle fut sa muse.
Merci Patrick pour ce merveilleux récit, cette rencontre, cette belle amitié. Vous lire en ce moment m'évite de sombrer dans une misanthropie totale et définitive. Je vous embrasse.

Patrick Mandon a dit…

En effet, Chère Corinne, ils connurent une dévorante passion. «Modi» se dégradait de jour en jour, il devenait vraiment fou. D'un caractère trempé, elle résista à la pression de ses parents, défia la société de son temps (et c'était un fameux obstacle). Elle se suicida à l'annonce de la mort de Modigliani.
Lorsque je rendais visite à MGM, c'était le genre de récit qu'il me faisait.

Anonyme a dit…

Je crois même qu'elle s'est suicidée enceinte ?!
Les MGM se suivent et ne se ressemblent pas... Le mien règne en maître sur l'ambassade où Morand, le meilleur d'entre nous, fit ses classes. Mais je crois bien que je suis la seule ici qui s'en souvienne. N'oubliez pas, je vous ai promis un "bleu"....

Emilie a dit…

La grâce et la beauté d'Anouck Aimée, une de mes préférées ! Quant à Lili Palmer, dans un tout autre style, j'adore aussi !

Alors, finalement, Patrick, on a bien compris, vous ne fermez pas, n'est-ce pas ??

Patrick Mandon a dit…

Le temps me manque pour vous narrer la suite. J'ai encore des choses à vous dire, transmises par la mémoire vivante qu'incarnait MGM. Il sera question des Ballets russes, d'une fameuse pose B, de Nijinsky, de Verlaine et de quelques grandes ombres…

Corinne a dit…

Mais Patrick, nous ne sommes pas pressées, juste impatientes. Je songeais à une réplique de Gisèle Casadesus (quelle magnifique actrice, 95 ans !)dans le dernier Jean Becker, "dans la vie, nous ne sommes que des passeurs" cela illustre aussi très bien cet article, passeurs de vie, passeurs de temps, "de l'un à l'autre".
le russe sied assez bien à Gérard Philippe, c'est surprenant, tous ces r roulés comme des galets dans le ressac, c'est à la fois doux et rocailleux, l'ensemble est assez baroque mais l'émotion passe dans les regards, magique ! Je me prends à rêver d'un amant russe très volubile..

Patrick Mandon a dit…

«[…] un amant russe très volubile».
Voilà un beau projet !

Anonyme a dit…

Et quasiment redondant !

Corinne a dit…

Vraiment Nadia ? Le Russe est donc si bavard ? Peu importe, pourvu qu'il ne soit pas trop malhabile !

Patrick Mandon a dit…

Le russe, c'est connu, est labial : avec les lèvres, il est adroit, avec la langue, il est habile.
Le russe a reçu, de naissance, sinon le don des langues, au moins celui des lèvres.

Corinne a dit…

Le Russe est donc meilleur à l'Oural qu'à l'écrit.. Qu'on se le dise !

Patrick Mandon a dit…

«Meilleur à l'Oural qu'à l'écrit» !
C'est magnifique !
Pour ce qui est de vous, Corinne, votre valeur à l'écrit est indiscutable.
Je ne me prononcerai pas sur votre «ouralité», que je n'ai aucune raison d'imaginer inférieure à votre plume, si spirituellement taillée…

Corinne a dit…

Tout dépend, cher Patrick, de l'atmosphère, et de l'interlocuteur, bien sûr !

Anonyme a dit…

Le russe est indéniablement volubile. L'âme slave se répand, coule et vous enrobe de mots. A moins que vous ne tombiez sur l'exception qui confirme la règle. Le russe mutique qui vous dévorera de regards de feu. A vous de choisir daragaia !
Quant à son habileté... Je dirais droit au but, point de fioriture et roulez jeunesse. Ce programme vous convient-il ?

Corinne a dit…

Chère Nadia, vous m'embarrassez cruellement ! Voilà qu'entre le mutique et l'expansif, je ne sais plus lequel choisir. A force de tergiverser, faudra-t-il que, tel le faune de l'après-midi, je me contente du voile ?

Emilie a dit…

Quel feu d'artifice,Patrick et les filles !Epatant !

Patrick Mandon a dit…

Ces échanges sont la démonstration de la sentence, demeurée fameuse, de l'admirable Raquel Welch, en réponse à une question idiote d'un journaliste : «Chez les femmes, le cerveau aussi est une zone érogène».
Il est regrettable que ma cousine, pour des raisons obscures, ait abandonné l'art de la conversation, où elle manifestait, à l'exemple des dames ici présentes, une agilité de langue qui s'étendait très au-delà de son canton, et fonda même l'une des plus belles réputations du faubourg Saint-Germain…

Emilie a dit…

A vrai dire, mes chers amis, pour avoir connu le mutique et l'expansif, mais jamais en version russe, je reste un peu en panne d'inspiration et de vénération, aussi ne puis-je que vous livrer cette réflexion un peu amère certes,un peu hors sujet aussi, mais au fond réaliste car d'expérience : les hommes qui ne comprennent pas les femmes se divisent en deux groupes : les célibataires et les maris. Mais je n'ai pas l'esprit, ni le tableau de chasse de Zsa Zsa Gabor qui ajouterait :" Vous voulez savoir combien j'ai eu de maris ? En comptant le mien ?"

Patrick Mandon a dit…

Ma cousine, votre délicieuse intervention me permet d'évoquer une personne de sexe masculin, arrachée à mon affection, qui avait coutume de dire, souvent au milieu d'un repas, observant malicieusement les dames présentes : «Une femme fidèle ? C'est une femme qui a résolu de n'ennuyer qu'un seul homme à la fois !»

Anonyme a dit…

Votre ami avait fréquenté un certain Sacha né à Saint Pétersbourg, au hasard des tournées de ses parents ?
Vous avez mille fois raison, chère marquise.
Les hommes célibataires sont toujours un peu suspects. Quelle tare secrète nous cachent-ils donc ? Quant aux hommes mariés, nous laissons généreusement à leur douce moitié les chaussettes sales, les réveils grincheux et ce sommet de l'art français de la conversation conjugale "keskon mange ce soir ?". Nous prenons... le reste et nous n'en laissons pas une miette.

Corinne a dit…

Nadia, la douce épouse que je suis est aussi une incorrigible gourmande, je ne laisse aucune miette, je prends tout voire même plus encore. D'autres plus inconséquentes confondent régime matrimonial avec régime sans sel et je conçois qu'elles rechignent à ce mettre à table. Mais après tout, si cela fait le bonheur de quelques autres..

Patrick Mandon a dit…

Tous les célibataires ne dissimulent pas ces horreurs morales que vous leur supposez, chère Nadia ! Tenez, par exemple, mon ami R. D. : célibataire joyeux et endurci, heureux dès qu'il avait «de l'amour et du vin», eh bien, cet homme affable et à femmes, a mis fin à près de trente-cinq ans de plaisant vagabondage amoureux ce samedi ! Il a épousé une ravissante brune, qui a décelé très vite les qualités du mari que dissimulait (sans doute fort mal) le célibataire qu'il était.
Très beau mariage, sur une île, à Paris, d'où je vous ai envoyé un mot rapide ici-même (20 h 45) !

Emilie a dit…

A propos d'ami, Patrick, pourquoi n'avons-nous plus de nouvelles de celui que vous nous aviez présenté, Paul de Lorgnecul ?

Marié, lui aussi, et contre qui ?

Patrick Mandon a dit…

Contre qui, cousine ? Je crois savoir qu'il ne lui aurait pas déplu que ce fût contre vous. Vraiment tout contre !

Patrick Mandon a dit…

Mais au fait, cousine, n'appartenez-vous pas, vous aussi, à cette catégorie qui n'a décidé de n'ennuyer qu'un homme à la fois : les femmes fidèles ?
Un seul à la fois, mais plusieurs à la suite…

Anonyme a dit…

Ah Corinne, aucun risque que je vienne roder du côté de vos assiettes. Je ne doute pas une second que monsieur Corinne fait partie de ma catégorie masculine préférée. Les hommes fidèles et heureux. Espèce rare. Ceux-là, je les contemple de loin avec beaucoup de tendresse désintéressée. J'espère mon cher Patrick que vous y rangerez dorénavant R.D. Fort heureuseusemnt, restent les autres. Et là, je sors ma fourchette !

Patrick Mandon a dit…

RD était de ces célibataires dont l'appétit frôlait l'excès de table. Il sera, désormais, fidèle à une seule femme… à la fois !

Patrick Mandon a dit…

RD me dit hier, en aparté : «Quand on a connu l'abondance à table, le plat unique apparaît comme un trésor. Je me suis jusqu'à présent dispersé, aujourd'hui, je me rassemble.»
-Et demain ? lui demandai-je, anxieux .
- Demain est un autre jour…

Emilie a dit…

Moi, je crois qu'il a dû se marier avec l'une de ces créatures à plumes qu'il traquait en tout lieu et dans toutes les positions pour ses calendriers.

Voilà pourquoi il a disparu, car, et c'est toujours Zsa Zsa qui le dit, "l'homme amoureux n'est pas accompli tant qu'il n'est pas marié. Après, il est fini."

Emilie a dit…

Je parle du photographe, bien sûr !

Pierre a dit…

Comme disait Napoleon I (pas si connaisseur que ça): "Avec les femmes, une seule victoire: La fuite"

Emilie a dit…

"Mais au fait, cousine, n'appartenez-vous pas, vous aussi, à cette catégorie qui n'a décidé de n'ennuyer qu'un homme à la fois : les femmes fidèles ?"

Certes mon cousin, un seul à la fois, mais je m'en voudrais de l'ennuyer, je ne joue pas dans cette catégorie, j'ai de plus hautes ambitions et je m'applique :

http://www.youtube.com/watch?v=CVaUBBH3KZ0

Patrick Mandon a dit…

- Je t'aime à mourir
- D'ennui ?

Patrick Mandon a dit…

Je salue Pierre, et j'observe que la parfaite connaissance par ma cousine des mœurs privées de l'effarante et superbe dame Gabor pourrait nous valoir un délicieux petit article…

Joël H. a dit…

l'effarante et superbe dame Gabor pourrait nous valoir un délicieux petit article
J'approuve ! Zsa Zsa, le chainon manquant entre Porfirio Rubirosa et Paris Hilton.

Patrick Mandon a dit…

Joël, entendu pour Rubirosa, «El ultimo play boy», mais que vient faire cette sotte et vilaine blondasse, parfaite représentante de la plus grotesque des richissimes neo-bourgeoisies mondialisées ?

Joël H. a dit…

Patrick :
http://en.wikipedia.org/wiki/Francesca_Hilton

Zsa Zsa a épousé l'arrière grand-père de Paris, et est la mère d'une des tantes (ou grand-tantes ?) de la pouffe.
Un tout petit monde.

Patrick Mandon a dit…

Je m'incline.