Émilie m'a fait parvenir une suite de réflexions, métamorphosée par ses soins en un dialogue, qui ne manque pas de saveur.
- Cousin, orage dans mon ciel sentimental ! Les hommes me fatiguent, je ne les comprends pas et ils ne comprennent pas les femmes. Si j'avais des penchants homosexuels, je foncerai sans hésitation et me garderai de cette engeance inconséquente !
Hélas, j'aime les hommes !
- Chère cousine, vous écrivez : «Les hommes me fatiguent, je ne les comprends pas et ils ne comprennent pas les femmes. Si j'avais des penchants homosexuels, je foncerai sans hésitation et me garderai de cette engeance inconséquente !». Cela sonne juste. Quant à «Hélas, j'aime les hommes !». on dirait un soupir de satisfaction…
- Je vous parle, mon cousin, de cette inconséquence récurrente, inhérente au genre masculin. Au début ils veulent tous être regardés comme des héros, alors on s'applique, regard énamouré, admiratif, subjugué ; puis, un jour, fatigués sans doute par ce costume trop grand pour eux, même les plus attentionnés, les plus prévenants d'entre eux, les plus amoureux, se tansforment en rustres. Je note, par surcroît, une constante : l'indifférence totale à la peine qu'il font comme aux conséquences de leurs paroles et de leurs actes. Cela s'apppelle aussi l'égoïsme. Pour en avoir connu beaucoup, j'en déduis que ce serait bien le diable si le destin n'avait placé que ceux-là sur mon chemin. De la malchance, vous croyez ?
- Vous dites, aimable cousine : «Au début ils veulent tous être regardés comme des héros». Et si le besoin de héros gisait en vous ? Ce besoin ne créerait-il pas un avatar de héros, ou plutôt une forme de héros d'où l'héroïsme est absent ? Une forme vide. Souvent, notre désir parvient à faire coexister dan un seul être l'image de nous-même, que nous souhaitons voir, et l'image de l'autre, que nous nous refusons longtemps à contempler.
-Bien sûr, mais besoin de héros et besoin d'incarner ce héros sont concommitents, s'épousent, s'emboîtent, se confondent. L'illusion prend pour un temps forme concrète et se cristallise, comme l'explique Stendhal. De ces illusions, la Bovary est morte.
Un jour que je me désolais de ne plus savoir où ranger mes chaussures, je pris soudain la mesure du problème. Quatre vingts paires dont plus des deux tiers jamais portées ! J'en connais qui en restent confondus, incrédules et pantois ! Je les achète parce qu'elles sont belles, comme un collectionneur ou un fétichiste. Elles restent à ma vue, de longues années, éternellement, car je n'ai jamais pu marcher plus d'une heure avec elles (oh ! seulement une demi-pointure de différence, mais c'était la dernière paire !) Maladives pulsions.
Soudain, ce jour-là, tout s'est éclairci dans le placard. J'ai compris : je suis Cendrillon, je ne trouve pas chaussure à mon pied, mais je garde dans l'armoire toutes celles qui sont impossibles à porter, trop petites, qui font mal, mais si jolies et à la ligne si pure, au cuir si souple, et d'une couleur si subtile ! J'en ai même d'entièrement transparentes, talon et semelles compris, comme des pantoufles de verre et d'une hauteur vertigineuse ! Vingt ans de placard, pas une seule sortie autorisée ! Irréelles en somme, utopiques, idéales, abstraites, comme des illusions dont je refuserais de me séparer ! J'en ai finalement donné quelques paires, mais en m'arrachant le coeur et l'âme, le sang à la tête, les nerfs en pelote, et en prenant soin toutefois d'en conserver deux ou trois, de ces'"inaccessibles étoiles", juste pour le souvenir, pour me rassurer, car, un jour peut-être, qui sait, tout n'est-il pas possible, elles m'iront comme un gant ?
De quoi régaler un psychanalyste...
Non, mon ami, nos héros, nos princes n'ont pas le droit de nous "malchausser" pour rejoindre le placard où l'on garde, tapies dans l'ombre, là, qui scintillent et brûlent encore et toujours, nos illusions déçues !
Émilie, marquise de Beauregard
18 commentaires:
Ma chère marquise, c'est entendu, les hommes sont des enfants égoïstes, indifférents aux malheurs qu'ils nous causent. Mais la nature est particulièrement bien faite. Nous aimons les tortionnaires. Je n'ai présentement qu'une boite à chaussures dans mon placard, j'ai jeté toutes les autres. Je ne saurais vous décrire leur forme, elle est inouïe. Quelque chose de très stylé. Plus que Flaubert et Bovary, noubliez pas Hegel, ma belle. Qui est le maître, qui est l'esclave ?
Je vous embrassse, merci pour ce beau texte.
Merci Patrick, le titre aurait pu être aussi :"Le Placard" ! J'ai laissé une faute.Il faut écrire demi-pointure et non demie.
Merci chère Nadia, mais justement, ces chaussures qui me torturent, je les mets au placard des regrets parce qu'elles sont trop PETITES pour mon pied ( je ne chausse que du 37 et 1/2 pourtant!) bien qu'elles m'aient fait rêver un moment.
L'idéal ne serait-il pas, au fond, du "sur mesure" ? Quel artisan aurait un cuir assez ferme pour tenir à la cheville, mais assez souple pour épouser mes embardées, sans s'égratigner de mes courses folles, sans rechigner,assez solide pour gommer en douceur, l'air de rien, les défauts de ce pied égyptien étonnant si difficile à chausser.
Bref un cuir à la fois d'envergure et de délicatesse qui connaisse l'art de dompter ce pied rebelle, en douceur, sans jamais le torturer !
Je n'ai jamais trouvé ce genre de chaussures, je l'ai seulement cru souvent! Pas de syndrome de Stockholm pour moi !
- Laisse-moi t'envahir !
- Avec jouissance !
- Laisse moi partir !
- Avec plaisir !
Ah, Marquise ! Nous nous sommes toutes laissées séduire par tel ou tel soulier joli ; l'un avait de l'allure, pointu et haut perché mais si maladroit ! Il tint à peine une danse ; un autre nous charma par sa discrétion, son charme de ballerine, léger, sans attaches, mais hélas si plat ! Un autre encore nous avait semblé si excentrique, original ! Mais une fois déchaussé, triste désillusion, il s'avachît alors comme un vieux paillasson.. Et d'autres encore, combien ? dorment dans nos placards, une sortie d'un soir, ils eurent tous pourtant leur quart d'heure de gloire, rendons leur cette justice.
Mais Marquise, je vous prie, prenez garde à ne pas pas finir pieds nus, comme la Comtesse ! Ne vous lacez donc pas si c'est ce bât qui blesse, et persévérez donc.
Je dois dire que pour moi (un 40 fillette) l'affaire ne fut pas simple, mais aujourd'hui j'avoue, c'est une chose sûre, avoir trouvé enfin celui qui seul me sied et c'est une pantoufle ! Pas de verre, certes non, mais de vair fourrée, un toucher doux soyeux, dehors comme au-dedans, tout en gardant ma foi une belle élégance et un confort douillet, hiver comme été.. Mais après tout quelle importance ? Nos pieds ne sont couverts que lorsque nos corps sont à la verticale, nos nuits horizontales se passent bien de chausses et c'est bien la part la plus agréable du chemin.
Ma chère Corinne,au bout du compte, pieds-nus vaut toujours mieux que mal chaussée.
Un de mes copains, grand séducteur,lors d'une de mes précédentes et (toujours) spectaculaires ruptures ( soupir !) me dit un jour, avec son accent méridional :" Tu sais, Emilie, il est très difficile de passer entre les gouttes, car,je peux affirmer sans crainte de me tromper, que parmi nous, les hommes, il n'y en a que 10 pour cent de bons."
Corinne et Nadia, vous avez les 10 pour cent !
Ils ont des frères, des cousins ?
Chère Emilie, le mien est un Ulysse, grand voyageur, ce qui fait sans doute qu'on ne se lasse (quoiqu'en ce moment, l'Ulysse est bien fatigué, je le soigne) ! Je vous embrasse bien amicalement et vous jure que si j'en vois passer un qui vaille, je vous l'envoie ! Ceci-dit, ce qui est bon pour l'une ne l'est pas forcément pour l'autre..
Je n'ai maintenant plus qu'une certitude, ma chère Emilie, celle que vous avez si bien résumé par pieds nus valent mieux que mal chaussés. Je vois tant de charentaises qu'on conserve faute de mieux ou pire, par crainte de devoir se les geler, alors qu'elles prennent depuis longtemps les courants d'air. Mauvais calcul, toujours. Si l'on sauve éventuellement ses extrémités, on y perd tout le reste, son âme en particulier. Gardez la vôtre et ouvrez l'oeil, le bon. La vie est joueuse et pleine de surprises.
Nadia, certes, les charentaises, ce n'est pas le pied ! Mais force est de constater qu'autrefois belles et jeunes femmes, exigeantes plus que de raison, se sont flétries hélas, à attendre l'impossible, ou n'ont trouvé sur le tard qu'une pauvre paire d'espadrilles dont la corde était déjà bien usée. Toujours est-il que vous avez raison toutes deux, mieux vaut seule que mal aimée.
Ah mais, Cendrillon a fait parler ! Très jolis échanges, spirituels; enlevés, moqueurs ! Cependant, vous n'avez pas évoqué les mocassins ; voilà bien un modèle plaisant. Il se met sans effort, s'ôte sans y penser. Et puis, il n'a pas de lacet… On le veut, il est disponible, on s'en lasse, il se retire… sur la pointe des pieds.
Encore ceci : Émilie, j'ai changé le titre ; celui-ci vous convient-il ?
Vous n'avez rien dit du choix des films et des musiques. Auriez-vous un cœur de pierre, mesdames, pour n'être pas bouleversées par ces représentations de l'amour et des «remuements» de l'âme qu'il entraîne ?
En effet cher Patrick, vous le constatez, les femmes savent rire de tout comme d'elles-mêmes dans les moments difficiles, chose que ne savent pas faire les hommes !
Votre titre est exactement ou presque, celui que je m'apprêtais à vous proposer, au moment où vous l'avez changé: "le héros du placard".
Les illustrattions sont magnifiques, belles et émouvantes. Elles disent si bien les bouleversements, retournements, arrachements, contradictions, sidérations qui nous empoignent l'âme dans ces terribles moments où l'on ne sait plus lequel finalement a trahi l'autre, où, perdu, éperdu,on ne se reconnait plus et l'on pense que tout n'était que leurre !
C'est vrai que le mocassin parait facile à vivre, souple et simple, ni espadrille, ni pantoufle, il peut avoir de la classe. Léger, il doit avoir de l'esprit.
Or, je n'ai pas ce modèle dans mon placard. C'est un signe! Il me faut y songer et l'essayer. Bonne idée, Patrick !
Il me paraît qu'il y a une grande différence, dans les relations amoureuses, entre l'homme et la femme, relativement à l'infidélité ; un homme qui aime au moins deux femmes à la fois se multiplie, alors qu'une femme, dans la même situation, se divise.
Patrick, j'aime beaucoup votre théorie sur la multiplication des mocassins ! Pour la femme j'y mettrai toutefois un bémol ; après la division vient souvent la soustraction.
Corinne, vous avez de l'esprit pour deux, et peut-être même pour trois…
Ne me tentez pas, Patrick ! Je ne suis qu'une faible femme..
Patrick, nous sommes vos Pointer sisters !
Le mocassin ? Non, sans façon, il est trop discret, on ne l'entend pas venir. Un moment d'inattention, nous voilà faites.
Ce n'est pas désagréable d'être «surprise»…
Je ne vous ai pas remercié pour L'important c'est d'aimer. Romy Schneider toute de douleur contenue, de regards pétrie, et Piccoli qui a déjà tourné la page. L'amour sans amitié. Mais est-ce possible, vraiment ? Je ne le crois pas.
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