mercredi 30 juin 2010

Frère de nuit 2

Jérôme Leroy évoquait l'un des poèmes de Carco qu'il préfère : Il pleut ; le voici, mis en musique et interprété par Valérie Ambroise, pendant une séance du Petit conservatoire de Mireille :



Par Fréhel, la femme dont on descendit le cercueil par la façade de son immeuble, ce poème de Carco, mis en musique par Jacques Larmanjat, Chanson tendre :



Enfin, ce texte, toujours de Carco, sur des notes de de Jacques Larmanjat, chanté par Monique Morelli : Le doux Caboulot.
Et je me permets de reproduire le commentaire si pertinent d'un certain piquedard, trouvé dans le fil accompagnant ces images, chez Youtube :

«Pour en goûter véritablement la saveur et peut-être pour bien comprendre cette chanson, il faut avoir lu une des oeurvres de francis carco comme par exemple "montmartre à vingt ans". c'est du reste dans ce livre qu'il évoque avec une tendre nostalgie les circonstances et l'atmosphère qui lui ont inspiré "ces simples petits vers"(sic). À propos, ce n'est point "le doux caboulot/ fleuri sous les branches" mais bien "le doux caboulot/ perdu sous les branches".»



J'insiste, un peu lourdement : tout cela est d'une affolante simplicité. Du grand art !

mardi 29 juin 2010

Frère de nuit

Écrire ! Écrire des vers, de la prose, filtrer les sentiments qui nous traversent, les contraindre à la loi de la simplicité, de la précision, de la règle légère…
Il y a longtemps que je l'aime, ce Francis-là ; frère sentimental, confident des mélancolies, pourvoyeur en fantaisie. Le temps me manque pour vous en dire plus ; alors, je vous adresse ces quelques vers, et le poème d'affection de Louis Aragon, mis en musique par Jean Ferrat. Se présente ici une farandole de talents admirables, d'une simplicité biblique, si difficile à atteindre.


L'ombre

Quand je t'attendais, dans ce bar,
La nuit, parmi des buveurs ivres
Qui ricanaient pour avoir l'air de rire,
Il me semblait que tu arrivais tard
Et que quelqu'un te suivait dans la rue.
Je te voyais te retourner avant d'entrer.
Tu avais peur. Tu refermais la porte.
Et ton ombre restait dehors:
C'était elle qui te suivait.

Ton ombre est toujours dans la rue
Près du bar où je t'ai si souvent attendue,
Mais tu es morte
Et ton ombre, depuis, est toujours à la porte.
Quand je m'en vais, c'est à présent moi qu'elle suit
Craintivement, comme une bête.
Si je m'arrête, elle s'arrête.
Si je lui parle, elle s'enfuit.

Ton ombre est couleur de la pluie,
De mes regrets, du temps qui passe.
Elle disparaît et s'efface
Mais envahit tout, à la nuit.

[…]
Francis Carco (extrait)


L’averse

Un arbre tremble sous le vent
Les volets claquent.
Comme il a plu, l’eau fait des flaques.

Des feuilles volent sous le vent
Qui les disperse.
Et, brusquement, il pleut à verse.

Le jour décroît.
Sur l’horizon qui diminue
je vois la silhouette nue
D’un clocher mince avec sa croix.

Dans le silence,
J’entends la cloche d’un couvent.
Elle s’élève, elle s’élance
Et puis retombe avec le vent.

Un arbre que le vent traverse
Geint doucement
Comme une floue et molle averse
Qui s’enfle et tombe à tout moment.


Francis Carco

dimanche 27 juin 2010

Émilie dans la tempête 5 et fin (provisoire ?)

Voici un garçon qui se retourne sur toutes les femmes, s'engouffre dans leurs sillages, papillonne, vole de l'une à l'autre, se pose sur l'épaule de celle-ci alors qu'il observe le mouvement des hanches de celle-là et découvre la chute de reins d'une troisième. Il est insatiable, il désire toujours une ombre nouvelle, s'enfuit après chacun de ses tendres forfaits, se lasse après qu'il a enlacé… Il n'aime que plaire, mais jamais à la même, et encore séduire, et plusieurs à la fois.




Mais ce même charmant garçon, «traînant tous les cœurs après lui», adoré des coquettes, volage au plus haut point, a croisé Émilie, la brune aux yeux de braise. Sous l'effet du sentiment-sorcier qui vous fait d'un prédateur de l'amour un cocker fidèle et dévoué, il n'entend, ne voit, ne désire plus que la méditerranéenne volcanique.
La preuve :



Film : Un soir de réveillon, 1933.
Réalisé par Karl Anton ; avec Henry Garat, Arletty, Meg Lemonnier, Dranem

Émilie dans la tempête 4

Enfin, relativement au sentiment amoureux, il y a ceci : Godard filmant le visage de Karina. Il y a un jukebox, un militaire triste et sa fiancée, attendrie, un garçon et une fille qui jouent au flipper (”it's more fun to compete ! "). On y voit même Jean Ferrat.
En ce temps-là, Godard était notre Musset.
Ce seul et bref extrait est poétiquement supérieur à la masse constituée de la quasi-totalité des films français produits depuis une dizaine d'années. Godard ensorcela la banalité.

Jean-Luc Godard, Vivre sa vie, 1962.



Et encore Jean Ferrat, parce que l'amour, de près comme de loin, c'est compliqué !



Et voici Serge, ”Sergio", l'italien, le séducteur, le coureur de jupon. Il revient à la maison ; il a perdu son beau poil lisse, son apparence et ses manières de fanfaron, il a l'air las. Mais elle n'est plus là !



Enfin, un grand disparu et une diva en majesté : duo baroque, brillant.



How can I go on
From day to day
Who can make me strong in every way
Where can I be safe
Where can I belong
In this great big world of sadness
How can I forget
Those beautiful dreams that we shared
They're lost and they're no where to be found

Émilie dans la tempête 3

Avant la séparation, le chagrin, le ressentiment, la profonde blessure narcissique, il y a la formation du sentiment amoureux et son gisement inépuisable de doute et de certitude.
Voici quelques beaux moments.



Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté

Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie

La nuit descend
On y pressent
Un long destin de sang


Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, janvier 1915.


Marie, de Guillaume Apollinaire, chanté par Léo Ferré :




Marie, de Guillaume Apollinaire, dit par Guillaume Apollinaire :




Qu'en avez-vous fait ?

Vous aviez mon coeur
Moi, j'avais le vôtre :
Un coeur pour un coeur,
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre ;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur,

Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,

Vous me laissez là
Dans ma vie amère,
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'Amour ?

Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde
Vous appellerez,
Et vous songerez!…

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte,
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant,

Et l'on vous dira :
« Personne !… elle est morte. »
On vous le dira,
Mais, qui vous plaindra ?


Marceline Desbordes- Valmore, Élégies, 1825

Émilie dans la tempête 2

What we know…



samedi 26 juin 2010

Émilie dans la tempête

À Émilie, je dédie ce moment de pur bonheur. Et je lui souhaite de croiser un tel homme, qui lui fera une semblable déclaration : sa sincérité est absolue au moment où il livre son aveu. Certes, on peut lui reprocher la succession des objets de sa sincérité : aujourd'hui celle-ci, demain cette autre. Mais, dans le feu de l'action, il n'y a pas plus franc que cet homme-là : il la convoite, elle est mariée, il le lui rappelle, elle ne l'avait pas oublié. Elle cèdera parce qu'il lui en a donné l'envie. Elle sait qu'il est un amant, qu'il ne sera pas un mari, même pas un compagnon. Il lui suffit de voir qu'il est un enchanteur. Elle consent donc à être enchantée.
L'affaire ne durera pas éternellement, certes, mais elle en conservera un souvenir attendri. Un homme dont on se souvient avec attendrissement ne peut pas être complètement mauvais.





Faisons un rêve (1936)
Écrit, réalisé par Sacha Guitry
Avec Jacqueline Delubac, Raimu, Arletty, Michel Simon, Marguerite Moreno, Andrée Guize et Sacha Guitry

jeudi 24 juin 2010

Les héros dans le placard, ou le complexe de Cendrillon

Émilie m'a fait parvenir une suite de réflexions, métamorphosée par ses soins en un dialogue, qui ne manque pas de saveur.

- Cousin, orage dans mon ciel sentimental ! Les hommes me fatiguent, je ne les comprends pas et ils ne comprennent pas les femmes. Si j'avais des penchants homosexuels, je foncerai sans hésitation et me garderai de cette engeance inconséquente !
Hélas, j'aime les hommes !

- Chère cousine, vous écrivez : «Les hommes me fatiguent, je ne les comprends pas et ils ne comprennent pas les femmes. Si j'avais des penchants homosexuels, je foncerai sans hésitation et me garderai de cette engeance inconséquente !». Cela sonne juste. Quant à «Hélas, j'aime les hommes !». on dirait un soupir de satisfaction…

- Je vous parle, mon cousin, de cette inconséquence récurrente, inhérente au genre masculin. Au début ils veulent tous être regardés comme des héros, alors on s'applique, regard énamouré, admiratif, subjugué ; puis, un jour, fatigués sans doute par ce costume trop grand pour eux, même les plus attentionnés, les plus prévenants d'entre eux, les plus amoureux, se tansforment en rustres. Je note, par surcroît, une constante : l'indifférence totale à la peine qu'il font comme aux conséquences de leurs paroles et de leurs actes. Cela s'apppelle aussi l'égoïsme. Pour en avoir connu beaucoup, j'en déduis que ce serait bien le diable si le destin n'avait placé que ceux-là sur mon chemin. De la malchance, vous croyez ?

- Vous dites, aimable cousine : «Au début ils veulent tous être regardés comme des héros». Et si le besoin de héros gisait en vous ? Ce besoin ne créerait-il pas un avatar de héros, ou plutôt une forme de héros d'où l'héroïsme est absent ? Une forme vide. Souvent, notre désir parvient à faire coexister dan un seul être l'image de nous-même, que nous souhaitons voir, et l'image de l'autre, que nous nous refusons longtemps à contempler.

-Bien sûr, mais besoin de héros et besoin d'incarner ce héros sont concommitents, s'épousent, s'emboîtent, se confondent. L'illusion prend pour un temps forme concrète et se cristallise, comme l'explique Stendhal. De ces illusions, la Bovary est morte.
Un jour que je me désolais de ne plus savoir où ranger mes chaussures, je pris soudain la mesure du problème. Quatre vingts paires dont plus des deux tiers jamais portées ! J'en connais qui en restent confondus, incrédules et pantois ! Je les achète parce qu'elles sont belles, comme un collectionneur ou un fétichiste. Elles restent à ma vue, de longues années, éternellement, car je n'ai jamais pu marcher plus d'une heure avec elles (oh ! seulement une demi-pointure de différence, mais c'était la dernière paire !) Maladives pulsions.
Soudain, ce jour-là, tout s'est éclairci dans le placard. J'ai compris : je suis Cendrillon, je ne trouve pas chaussure à mon pied, mais je garde dans l'armoire toutes celles qui sont impossibles à porter, trop petites, qui font mal, mais si jolies et à la ligne si pure, au cuir si souple, et d'une couleur si subtile ! J'en ai même d'entièrement transparentes, talon et semelles compris, comme des pantoufles de verre et d'une hauteur vertigineuse ! Vingt ans de placard, pas une seule sortie autorisée ! Irréelles en somme, utopiques, idéales, abstraites, comme des illusions dont je refuserais de me séparer ! J'en ai finalement donné quelques paires, mais en m'arrachant le coeur et l'âme, le sang à la tête, les nerfs en pelote, et en prenant soin toutefois d'en conserver deux ou trois, de ces'"inaccessibles étoiles", juste pour le souvenir, pour me rassurer, car, un jour peut-être, qui sait, tout n'est-il pas possible, elles m'iront comme un gant ?
De quoi régaler un psychanalyste...
Non, mon ami, nos héros, nos princes n'ont pas le droit de nous "malchausser" pour rejoindre le placard où l'on garde, tapies dans l'ombre, là, qui scintillent et brûlent encore et toujours, nos illusions déçues !

Émilie, marquise de Beauregard







vendredi 18 juin 2010

Les voix de la France

Aujourd'hui, 18 juin, les feuilles mortes se ramassent à l'appel…
Évoquons la figure de Pierre Dac, (1893-1975). Déjà fameux avant la défaite, il choisit la France libre, de Gaulle, Londres. Son biographe, Jacques Pessis, rapporte qu'il aurait déclaré aux policiers du poste frontière de Céret, non loin duquel il avait tenté de passer en Espagne, avant de gagner Londres : «En France, il y avait deux hommes célèbres, le maréchal Pétain et moi. La nation ayant choisi le Maréchal, je n'avais plus qu'à partir.»;

Le 10 mai 1944, Philippe Henriot (1889-1944), talentueux égaré de la collaboration active, voix de la France soumise à Radio Paris, fait une très déplaisante allusion aux origines juives de Pierre Dac, né Isaac :

"[…] Dac s'attendrissant sur la France, c'est d'une si énorme cocasserie qu'on voit bien qu'il ne l'a pas fait exprès. Qu'est-ce qu'Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France, à part la scène de l'ABC où il s'employait à abêtir un auditoire qui se pâmait à l'écouter ? La France, qu'est-ce que ça peut bien signifier pour lui ? […] "

Pierre Dac lui répond le 11 mai. On connaît généralement la chute de ce texte, mais il mérite d'être connu dans sa totalité.

«M. Henriot s'obstine; M. Henriot est buté. M. Henriot ne veut pas parler des Allemands. Je l'en ai pourtant prié de toutes les façons : par la chanson, par le texte, rien à faire. Je ne me suis attiré qu'une réponse pas du tout aimable - ce qui est bien étonnant - et qui, par surcroît, ne satisfait en rien notre curiosité. Pas question des Allemands. C'est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et national-socialiste, je ne suis pas français. A défaut de croix gammée et de francisque, j'ai corrompu l'esprit de la France avec L'Os à moelle. Je me suis, par la suite, vendu aux Anglais, aux Américains et aux Soviets. Et pendant que j'y étais, et par-dessus le marché, je me suis également vendu aux Chinois. C'est absolument d'accord. Il n'empêche que tout ça ne résout pas la question: la question des Allemands. Nous savons que vous êtes surchargé de travail et que vous ne pouvez pas vous occuper de tout. Mais, tout de même, je suis persuadé que les Français seraient intéressés au plus haut point, si, à vos moments perdus, vous preniez la peine de traiter les problèmes suivants dont nous vous donnons la nomenclature, histoire de faciliter votre tâche et de vous rafraîchir la mémoire :
1. Le problème de la déportation
2. Le problème des prisonniers
3. Le traitement des prisonniers et des déportés
4. Le statut actuel de l'Alsace-Lorraine et l'incorporation des Alsaciens-Lorrains dans l'armée allemande
5. Les réquisitions allemandes et la participation des autorités d'occupation dans l'organisation du marché noir
6. Le fonctionnement de la Gestapo en territoire français et en particulier les méthodes d'interrogatoire
7. Les déclarations du Führer dans Mein Kampf concernant l'anéantissement de la France.
Peut-être me répondrez-vous, monsieur Henriot, que je m'occupe de ce qui ne me regarde pas, et ce disant vous serez logique avec vous-même, puisque dans le laïus que vous m'avez consacré, vous vous écriez notamment : "Mais où nous atteignons les cimes du comique, c'est quand notre Dac prend la défense de la France! La France, qu'est-ce que cela peut bien signifier pour lui ?"
Eh bien ! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire ce que cela signifie, pour moi, la France.
Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d'autres avant eux sont originaires du pays d'Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante petite ville de Niederbronn, près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C'est un beau pays, l'Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que cela signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l'Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celles de Crimée, d'Algérie, de 1870-1871, de 14-18 jusqu'à ce jour, on a dans ma famille, monsieur Henriot, lourdement payé l'impôt de la souffrance, des larmes et du sang.
Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l'Allemagne ?
Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un, celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d'aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l'allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C'est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C'était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription: "Mort pour la France, à l'âge de 28 ans". Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription: elle sera ainsi libellée :
Philippe Henriot, mort pour Hitler, fusillé par les Français...
Bonne nuit, monsieur Henriot. Et dormez bien. »
Pierre Dac







Note : il me semble que la voix lançant un message à l'adresse des maquis de la Haute-Savoie est celle de Maurice Schumann (1911-1998).
L'une des voix de Radio Londres, de celles qui disaient «Les Français parlent aux Français», appartenait à Franck Bauer. Or, ce même Franck eut un fils, prénommé Axel. Et Axel Bauer enregistra une chanson, en 1983, qui connut un énorme succès : Cargo de nuit. Jean-Baptiste Mondino en tirera un «clip» très réussi, sophistiqué, cuir, sueur et sexe…
Enfin, aux anti-gaullistes crétins, je veux rappeler que l'une de leurs idoles, l'aimable Jean Monnet (1888-1979), prétendu père de l'Europe, dans une note secrète de 1943 au secrétaire d’État américain, ne craint pas de représenter de Gaulle en «[…] ennemi du peuple français et de ses libertés, un ennemi de la construction européenne, qui doit, en conséquence, être détruit […]».

Ultime : le général Bigeard est mort. Qu'on le veuille ou non, il incarnait la Révolution française, ou plus précisément l'esprit de la Grande armée, dans laquelle le plus pauvre des fils de paysans bretons s'engageait avec une promesse de bâton de maréchal dans son sac. Et l'on reconnaîtra chez lui un courage physique vraiment exceptionnel, qui en fit un résistant acharné, un soldat de la première vague d'assaut et de la dernière cartouche. Il fut également un militaire républicain. Dans le privé, sa conversation, où il était question des «p'tits gars», devenait vite assommante, à l'exception de ses descriptions des batailles auxquelles il avait participé : son récit de la défense perdue de Dien Bien Phu, des combats rapprochés dans cette cuvette infernale, des morts abandonnés, prenait des allures de confession tragique. Il pleurait sur ses camarades. Oui, bien sûr, il couvrit des actes de torture en Algérie. Mais l'Algérie, vous répondra Émilie, c'est compliqué…

mercredi 16 juin 2010

L'amour, c'est beaucoup plus que l'amour

«Gli autori di questa canzone sono Michel Delpech, Jean-Michel Rivat e Claude Morgan. Orchestra diretta da Michel Bernholc
Une chanson de baltringue, de flirt poisseux sous des lumières mauves ou orangées, et pourtant une réussite, une scène de vie comme Delpech seul sait si bien les photographier.
Dans le même juke box, je fais jouer Les divas du dancing, œuvre oubliée d'un météore de la chansonnette. Là encore, c'est bien vu : une nouvelle brève sur la déshérence amoureuse, sur la chance qui tourne et se détourne des uns et des autres.
-Vous dansez, mademoiselle ?
-Volontiers, mais je vous préviens, monsieur, je suis musulmanne.
-Cela ne se voit pas, et ne me dérange nullement.
-J'espère bien.
-Quant à moi, je suis catholique.
-Je l'aurais deviné.
-Et je suis vieux.
-Je ne l'aurais pas cru !

chanson

dimanche 13 juin 2010

Comment t'appelleS-tu ? (corrigé par Corinne)

Tous les garçons, le film.
Il s'agit d'un court métrage, intitulé Charlotte et Véronique, plus connu sous son autre titre : Tous les garçons s'appellent Patrick (1957).
On a souvent dit que Godard était cérébral. Mais, jusque dans les années soixante-dix, il manifeste la légèreté de Marivaux, la mélancolie de Musset.
Deux jeunes filles connaissent, sans le savoir, le même garçon. Quiproquo, confidences, dissmulation : les êtres volages sont innocents des crimes d'amour qu'ils commettent.
Jean-Claude Brialy est fluide comme les heures de la jeunesse, Paris en noir et gris n'a pas d'équivalent dans le monde…
Rien ne changera jamais, les horloges s'arrèteront, il y aura des scooters vespa et des mobylettes dans les rues, les filles ne se laisseront pas faire tout de suite, elles aimeront être séduites puis abandonnées. Quant aux garçons, ils souffriront à leur tour, martyrisés par des pimbèches au cœur de pierre. L'amour leur donnera bien du plaisir et du fil à retordre.

jeudi 10 juin 2010

Mon plus vieil ami 2

Par manque de temps, je ne peux vous livrer la suite.
Voyez ces document éblouissants. Observez ce bouleversement graphique, radical : il signale l'un des premiers gestes de la modernité. C'est l'irruption de la beauté contrariée et de sa fatale attraction. Entendez cette musique : elle annonce l'avalanche qui va suivre, jusqu'au jazz et au-delà. Des hommes de génie ont imaginé ces sons et ces figures. Ils ont ouvert une brèche dans le ciel. MGM les a tous connus. Jeune homme émerveillé, j'entendais ses récits.
Le monde n'a pas toujours été désenchanté.
Nous reparlerons de tout cela.





De Daniel Darc, je préfère garder le souvenir de cet élégant jeune homme.
Sa chanson Nijinsky, est envoûtante :




NIJINSKY
Un pied sur le trottoir
Et l’autre qui brise une vitre
Ca forme un angle bizarre
Je trouve ça plutôt chic

Nijinsky

Je me moque de savoir
Si j’ai tort ou raison
Je n’ai aucune mémoire
J’oublie toutes mes leçons

Nijinsky

Mon cœur se brise souvent
Mais se répare très vite
Mon corps plus fort qu’avant
Dans mon cerveau habite

Nijinsky

Je dessine un nageur
Vous le croyez noyé
Si je peins une fleur
Vous la voyez fanée

Nijinsky

N’ayez aucun remords
Le jour de mes obsèques
Au-dessus de mon corps
Dieu dansera avec

Nijinsky

mardi 8 juin 2010

Mon plus vieil ami

Cela se passait à la fin des années soixante-dix. Je venais de lire, de Michel-Georges Michel, l'Epoque Tango, ou la vie mondaine pendant la guerre ; une suite de notations, de choses vues, de croquis sur le vif. Pour le décor, Deauville et Paris ; pour les figures, les stars de l'époque, comédiennes, princes, cocottes, peintres ; et le tout pendant la Première guerre mondiale. Champagne, rire, volupté : l'anti-patriotisme, où plutôt l'absence de patriotisme. Un style concis, rapide, très neuf : du journalisme en train de s'inventer.
L'auteur était né en 1883. Je connaissais alors très bien un vieux libraire spécialiste des livres anciens, dont la boutique se trouvait près du joli square des Batignolles. Je lui dois beaucoup ; il m'a fait lire tous les écrivains qu'on ne lit pas au collège, ni à l'université : les petits maîtres, les tordus, les oubliés, les égarés. Il aimait que je vienne lui rendre visite. Je m'asseyais, il parlait ; puis il plaçait quelques livres, qu'il m'avait destinés, sur le bord du comptoir. Il s'appelait M. Thébault. C'était un intellectuel modeste, un très fin lecteur, un esprit. Par lui, j'avais lu Michel-Georges Michel. Je ne sais ce qui me poussa à chercher ce nom dans l'annuaire, mais je l'y trouvai. J'appelai. Une voix de rogomme me répondit : «Michel-Georges Michel, c'est moi, jeune homme !». Nous convînmes d'un rendez-vous chez lui, près des Champs-Élysées.
C'est ainsi que j'ai rencontré celui qui allait devenir mon plus «vieil ami». Pendant huit ans, je lui rendrai visite régulièrement, m'enchantant de ses récits et des figures que sa seule mémoire faisait surgir. Il avait commencé très tôt dans la presse, dès l'âge de quinze ans, portant d'abord les dépêches, puis montant un à un les degrés du journalisme, depuis «les nouvelles à la main» jusqu'à la chronique régulière. Aujourd'hui, son œuvre et son nom sont oubliés, mais il fut, entre les deux guerres, une éminente personnalité des arts. Très lié aux principaux peintres de l'Avant-garde, il avait «tourné» avec les Ballets russes, comme secrétaire de Serge de Diaghilev. L'un de ses livres, Les Montparnos, connut un grand succès et fut adapté au cinéma par Jacques Becker sous le titre Montparnasse 19, avec Gérard Philippe, Anouck Aimée, Lino Ventura. L'histoire est celle des derniers moments de Modigliani, de sa rencontre avec Jeanne Hébuterne, de leur fin misérable.
Par Michel-Georges Michel (MGM), je croisai Boris Kochno, et je rencontrai Serge Lifar. Ce dernier me fit un précieux cadeau, que je vous montrerai demain.
(à suivre)

J'ai trouvé cet extrait du film Montparnasse 19, curieusement doublé en russe, mais on perçoit les voix françaises. C'est encore plus irréel. Magnifiques visages des deux comédiens. La femme élégante au chapeau blanc se nomme Lili Palmer ; sa vie est un roman.

vendredi 4 juin 2010

Comment vous dire adieu…

Pour vous dire adieu, j'ai choisi un air entraînant et tout à fait d'actualité.
Notre cher Jacques Offenbach(1819-1880 ), allemand de naissance, juif d'origine et parisien de toujours, prit grand soin de dissimuler ses dons musicaux et sa neurasthénie derrière le genre opéra-bouffe.
Voici donc Felicity Lott dans l'air fameux ”Ah que j'aime les militaires", tiré de La grande duchesse de Gérolstein. il me semble bien que cela se passait au Châtelet, en 2004, sous la baguette de Marc Minkowski, dans une mise en scène de Laurent Pelly. Deux mots sur Felicity : c'est une anglaise extravagante, et l'une des plus courtisées parmi les grandes sopranos. Elle est couverte de récompenses et plus décorée qu'un arbre de Noël (Officier dans l'Ordre des Arts et des Lettres, Chevalier dans la l'ordre de la Légion d'Honneur, Dame Commander of the British Empire, Bayerische Kammersängerin), mais cela ne s'entend ni ne se voit. Enfin, tel Jacques Offenbach, elle adore la France.
À bientôt peut-être, sous les bombes !




Et puis l'ombre d'un compagnon de route, qui vous remercie, vous salue, aimablement pour certains, tendrement pour d'autres, et referme sur lui les grilles de sa fantaisie minuscule.























Photographies © PM

jeudi 3 juin 2010

Luchino est mort !

Chez l'amie américaine, Lady T, Tanya Roesler (mushroomsandberries), j'ai vu l'extrait d'un film consacré à Luchino Visconti, The life and times of count Luchino Visconti di Modrone, produit par Arena BBC. Sur daylimotion, j'ai trouvé l'intégralité de ce documentaire très complet.
Voici la dernière partie, avec l'enterrement de l'homme à la tête de lion (1906-1976). On y croise du beau monde, dont Burt Lancaster, très attentif.

L'un me plaît, l'autre pas !

Par le jeune David Fray, Moments musicaux n° 3, de Schubert. Sans pouvoir le démontrer, j'ose croire que Schubert eut aimé cette interprétation «ralentie», épurée mais franche de son œuvre. Plaisir des oreilles, donc, et plaisir des yeux : le garçon possède une beauté élégante, un peu «à l'ancienne» : un jeune homme d'autre fois. Il ressemble à quelqu'un que j'ai bien connu.



Evgeny Kissin donne, du même morceau, une version que je trouve détestable, d'après la transcription de Leopold Godowsky. C'est «ourlé», heurté, «pâtissier».

L'émotion de Pierre

Mother! Cette voix ! Kathleen la grande ! Elle vous prend, vous surprend et vous bouleverse, du fond du bide jusqu'au dernier repli de l´âme. Du sol au plafond ! Jamais virtuose, toujours émouvante.
Pierre

«Jamais virtuose, toujours émouvante.»

Voici deux «chants aux enfants mort» (Kindertotenlieder), cycle de cinq lieder composé par Gustav Mahler, sur des poèmes de Friedrich Rückert (1788-1866), entre 1901 et 1904. Il y a là une terrible correspondance d'événements : Rückert écrit ces textes après la mort, par maladie, de deux de ses enfants ; or, en 1907, la scarlatine tue Maria, la fille aînée de Gustav et Alma Malher ! Peut-on voir une prémonition dans les lignes suivantes :
«Si l'on a pas d'enfants, ou si on les a perdus, j'admets que l'on puisse mettre en musique des paroles aussi terrifiantes, mais autrement ? Comment donc comprendre qu'une heure après avoir embrassé et cajolé des enfants en pleine santé, au physique comme au moral, on se lamente sur leur mort ? Je m'exclamai alors: Pour l'amour de Dieu, ne tente pas la fatalité!» (Alma Malher, Mémoires) ?
Gustav Malher lui-même, après le drame, confie à Guido Adler :
"I placed myself in the situation that a child of mine had died. When I really lost my daughter, I could not have written these songs any more."


"Nun will die Sonn'so hell aufgeh'n”, premier chant des Kindertotenlieder, orchestre philarmonique de Vienne, dirigé par Bruno Walter.

Traduction
À présent le soleil radieux va se lever
Comme si, la nuit, nul malheur n'avait frappé.
Le malheur n'a frappé que moi seul,
Tandis que le soleil brille à la ronde.

N'enferme pas la nuit en ton coeur,
Plonge-là dans la lumière éternelle.
Une lampe s'est éteinte en ma demeure,
Gloire à la lumière, joie du monde !





"Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen.", chant n° 4, idem

Traduction :
Souvent je me dis qu'ils sont seulement sortis !
Ils vont bientôt rentrer à la maison !
La journée est belle ! Oh, ne sois pas inquiet !
Ils font seulement une longue promenade.

Bien sûr, ils sont seulement sortis
Et vont maintenant renter à la maison.
Oh, ne sois pas inquiet ! La journée est belle !
Ils se promènent seulement jusqu'aux collines.

Ils nous ont seulement précédés
Et ne voudront plus revenir à la maison !
Nous allons les rejoindre, là-haut sur ces collines
En plein soleil ! La journée est belle !

mercredi 2 juin 2010

Luxe, calme et volupté

Tout va bien ! Nous allons vers l'affrontement général. Partout, dans le monde, triomphent les idées de l'extrême droite libertaire et néo libérale. Partout dans le monde, la notion de bien public s'estompe, au profit d'une rude et vaine idéologie «georgebushiste». Les groupes de pression s'organisent pour faire valoir les intérêts des communautés les plus étroites…
Certes, cela ne durera plus très longtemps, mais enfin, puisque c'est encore possible, je vous invite à partager quelques jolis moments avec moi.
(Cette adresse, où est traité intelligemment un sujet rare, par Martine Lutringer : toucher-piano.com/M_3_C_2.html)

«Qui me rendra seulement une heure de ces temps heureux ? Ce temps où nous étions ensemble si intimes et où chacun apportait aux autres avec une timidité naturelle l’enfant de son art, attendant, non sans quelque appréhension, leurs jugements affectueux et sincères, ce temps où, nous exaltant les uns les autres, une même aspiration vers le beau nous animait tous…» (Lettre de Schubert à son ami Schober, 21 septembre 1824)
Franz von Schober (1798-1882), né en Suède, fut un membre actif du cercle des amis et admirateurs de Schubert, qu'on appelle Schubertiade. Il écrivit le poème ”An die Musik", que Schubert mit en musique. Voici ce «lied», par Kathleen Ferrier (1912-1953) :




«De toute façon, je ne veux pas vieillir. Je ne veux pas économiser...» (Samson François, après son infarctus).
L'Impromptu op. 90 n° 3, du tendre Franz Schubert (1797-1828) par Krystian Zimerman, Alfred Brendel, un inconnu fort honorable, et Edwin Fischer :







mardi 1 juin 2010

Happy Hopper !

This is the end
Beautiful friend
This is the end
My only friend, the end
Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands, the end
No safety or surprise, the end
I'll never look into your eyes...again

("The end”, The doors, 1967)

Dennis Hopper est mort.
On le savait très malade : le juge en charge de son divorce avait annoncé sa fin prochaine… God bless America ! La prostate est une tueuse dissimulée, une partenaire cruelle qui s'avance masquée.
L'homme était passionnant, avec cela élégant ; un artiste obstiné, curieux, un américain peu tranquille, un contemplatif attentif au mouvement. Une manière de dandy "made in USA”. Il ne ressemblait en rien à ces types sans intérêt, qui tournent dans des blockbusters, se font tatouer «bio», adoptent des enfants africains ou chinois, et sont aussi peu cultivés qu'un potager en déshérence, Il a beaucoup aimé la vie, qui le lui a bien rendu.
Je n'ai pas revu Easy rider. Je suppose que le film a mal vieilli ; moi aussi !
Le voici dans une brève scène de Apocalypse now, de Francis Ford Coppola. Il développe une impeccable philosophie, dont la vraie conclusion est «This is the way the fucking world is