Je revins à elle, ce matin. Son carré était désert, le temps gris, humide, j'allais m'éloigner lorsque j'entendis un murmure. J'épiai l'air, immobile. Une voix, alors, prononça distinctement : «Approche, petit monsieur, viens près de moi !». Cela, assurément, venait de la statue. Lorsque je fus au plus près d'elle, la voix reprit :
– Tu viens souvent, tu tournes autour de moi, tu me dévores des yeux.
– Je vous admire, je vous vénère, pardonnez-moi ! Si cela vous importune, je viendrai moins souvent.
– Au contraire, mon ami, tes visites ne me laissent pas indifférente. j'ai l'habitude des hommages, des photographies, des attroupements, mais toi, c'est différent. Quand tu me regardes, tu as l'air ému, je veux dire, sensuellement ému.
– Je ne peux nier que votre plastique me trouble et…
– Ah, ah, ah ! Ma plastique te touche ! Ah, ah, ah ! Touche-là donc, ma plastique !
– Que voulez-vous dire ?
– Je veux dire : caresse-moi ! Sors ta main de ton gant, promène-la sur mes fesses. Dépêche-toi, les gardiens se sont éloignés !
Je fis ce qu'elle m'ordonnait :
Elle me fit compliment de ma main, qu'elle jugea douce et chaude, et assez large pour couvrir une belle surface de sa «matière» glacée.
– Je sens ta chaleur, elle irradie. Viens te poser sur mes seins. Hâte-toi, les premiers touristes seront bientôt là, et les gardes se rapprochent.
Je m'exécutai sans protester :
Je ne sais combien de temps je suis resté en équilibre précaire, sur le socle de la fille Lachaise, à la caresser langoureusement, avec une application assez amoureuse pour que j'en vienne à fermer les yeux. Je me souviens simplement qu'elle me dit à voix très basse.
– On vient ! Descends, tu reviendras demain. Promets que tu reviendras !
– Juré.
– Avant de t'éloigner, donne-moi une dernière caresse.
– Tout ce que vous voudrez !
Et voici :
Photographies © PM
20 commentaires:
Il fallait oser et vous osâtes, j'en suis toute chose.
C'est elle qui m'a provoqué ! Comment résister à une déesse ? Et demain, qu'exigera-t-elle ?
Hier j'ai vu, à ma grande honte pour la première fois, "Une nuit chez Maud de Rohmer", j'ai été séduite ! Cela m'a ramenée à une nuit, chez des amis, j'avais 20 ans et lui 22, un artiste en devenir sans le sou, et moi une incorrigible timide. Nous avions passé cette nuit donc à discuter, où plutôt, il a passé la nuit à parler... de lui, moi d'un côté du canapé, lui de l'autre, aucun de nous deux n'osait.. déplier le canapé (qui était aussi lit). Comme elle fut longue cette nuit ! Nos amis, hilares, nous ont retrouvé tels qu'ils nous avaient quitté, sur notre canapé..
Chère Corinne, vous connaissez le mot de Sacha Guitry : «Un égoïste ? C'est quelqu'un qui ne pense pas à moi !»…
Oui ! Mais ensuite nous avons vécu quelques années ensemble..
Il était sourd, vous étiez muette, il était égoïste, vous étiez timide : vous étiez donc faits pour vous entendre.
Quant à moi, je vénère ma Vénus callipyge, admirablement fessue mais nullement mafflue ; j'en suis obsédé. Devant cette splendeur toute de bronze, je ne suis pas de bois !
Tout passe tout lasse.. C'est moi qui me suit lassée. Mais votre statue, elle, restera de bronze,non de marbre, et pour l'éternité.
"qui me suis" !! il n'y eut pas de suite, hélas.
Corinne, que vous soyez lasse d'un garçon, je le comprends, pourvu que vous ne vous lassiez pas de Tous les garçons…
Il n'en est pas question ! Fidèle je suis, je resterai.. . Vous en crierez grâce !
Douce France où il est possible de mettre ainsi la main au culte du patrimoine national, essayez à Londres, New-york, plus loin je n'ose même pas y penser !
Nadia, vous ne croyez pas si bien dire : figurez-vous que, ce matin, après avoir terminé ma séance, je vis arriver deux gardiens. Le premier, l'air presque gêné, me dit qu'il m'avait vu me hisser sur le socle, que cela était défendu, qu'il ne fallait pas, et que, bien sûr, il comprenait…… Bref, on ne peut être plus conciliant, plus aimable. Je leur présentai mes excuses et leur fis part de mon admiration pour cette Beauté fatale. Nous nous quittâmes avec force salutations, et le second, malicieusement, eut ce mot d'esprit si parisien : «Vous avez eu la fille, allez donc demander sa main au père !» (Pour ceux qui l'ignorent, le Père Lachaise est le nom d'un fameux cimetière).
Jolie montre !
Ne serait-ce point une Younger et Bresson ?!!!!
En effet, Yeux de braise ! Vous connaissez l'horlogerie suisse ! Une relation, là-bas ?
Ma cousine, je vous retrouve bien dans votre remarque sur ma montre. Vous auriez pu dire : «Oh, la belle main !», même si vous ne le pensiez pas, ou encore «Quelle chance elle a, cette statue !», ou bien «Très beau manteau de pur cachemire» (maison Old England, 12 Boulevard des Capucines 75009 Paris, la meilleure adresse pour le cachemire), mais non, vous voyez la montre, son prix, le compte en banque du type qui la porte, sans doute lecteur du Nouvel Observateur… Ah, ma cousine !
"Et demain, qu'exigera-t-elle ?"
Que vous lui cédiez, bien sûr ! ...votre montre.
INCREDIBLE!
Patrick, nous sommes inquiètes.. Est-ce que l'un des vigiles vous aurait mis la main au collet ?
Rassurez-nous, s'il-vous-plaît.
Tout va bien, Cheveux d'encre !
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