vendredi 17 décembre 2010

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes… (2)

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Ce n'est que par la postérité que Metropolis fut enfin considéré. En Allemagne, en Europe (à l'exception des milieux artistes et intellectuels français), puis en Amérique, on ne l'aima guère. Pour les studios de la UFA, qui y avaient engagé une fortune, ce fut une déroute commerciale. Film muet à gros budget, sa distribution coïncida presque avec l'avènement du cinéma parlant.
On dit que c'est lors d'un voyage en Amérique du Nord que Fritz Lang (1890-1976), devant le spectacle des villes gigantesques, fortement illuminées, formant ainsi des nuits électriques, imagina les premières scènes de son film. Nous pensons, pour notre part, que Jules Vernes est l'une de ses sources d'inspiration.
Quoi qu'il en soit, on doit le scénario de Metropolis à Thea von Harbou (1888-1954), une femme exceptionnelle, un caractère, qui écrivit d'abord la nouvelle au titre éponyme, puis le scénario du film, avec son mari, Fritz Lang. Le nom de Thea von Harbou est indissociable du cinématographe allemand, entre les deux guerres.
Ils se séparèrent ; Fritz Lang, infidèle et fuyant les nazis, Théa s'en rapprochant… dangereusement.
Le destin contrarié (contrariant) de Thea, est celui d'une femme allemande, née prussienne, possédant tous les dons et l'éducation qui permet de les exploiter, ardente, libre comme on ne l'est plus, offerte à toutes les idées, même les plus folles, même les plus dangereuses.
Mais voici la suite : Thea se consola des infidélités de Fritz dans les bras d'un amant magnifique (voir photographie ci-dessous), d'origine indienne, nommé Ayi Tendulkar (?-1975). Ce dernier était venu en Allemagne afin d'y achever un doctorat en statistiques. Sur les conseils de Thea, qui prévoyait la fin prochaine de la domination anglaise sur l'Inde, il entreprit également des études d'ingénieur en mécanique, se préparant ainsi à servir son pays.



Thea von Arbou et Ayi Tendulkar, vers 1936


De retour en Inde à la fin de 1938, il y commença une grande carrière, comme l'avait prévu Thea. Il se lia d'amitié avec Gandhi, qui fut témoin à son mariage. Sa fille, Laxmi Dhaul, écrivain, a témoigné de l'attachement de son père pour Thea, et du souvenir qu'il gardait de sa générosité. Après la guerre, Thea von Harbou paya les conséquence, logiques, de sa compromission auprès des nazis. Et puis, elle mourut, car, à la fin, on meurt.









Metropolis
Allemagne, 1927
Mis en scène par Fritz Lang : images de Karl Freund et Günther Rittau
Scénario : Fritz Lang et Thea von Harbou, d'après la nouvelle de Thea von Harbou «Metropolis»
Avec Brigitte Helm, Alfred Abel, Gustave Froehlich, Rudolf Klein-Rogge, Fritz Rasp, Theodor Loos

Ceux qui ne l'ont pas encore vu, seront vraiment étonnés par la maîtrise de la mise en scène, par l'inquiétante imagination qui déploie sa fantaisie.

16 commentaires:

Corinne a dit…

Merci Patrick ! Ainsi nous en savons un peu plus sur Metropolis, mais maintenant nous voudrions en savoir beaucoup plus sur Thea !

Patrick Mandon a dit…

Chère bourguignonnamie, je ne suis pas à Paris, et ne peux vous répondre longuement, néanmoins votre message ne laisse pas de m'inquiéter ; en effet, où je me trouve actuellement, je ne reçois pas l'article consacré à Métropolis, tel que je l'avais écrit. Je n'ai que le film, mais rien du texte, où je parle précisément de Thea.
Pouvez-vous me dire ce que vous voyez ? Je présentais la personnalité, très riche mais contrariée, de Thea von Harbou, qui s'est fortement compromise avec les nazis. Avez-vous vu la photographie qui la montre, très maternelle, avec son superbe amant indien ? Cette photographie, par exemple, n'apparaît pas sur mon écran. Bref, je ne comprends pas ce qui se passe.
J'ai bien l'intention de consacrer d'autres articles à cette exceptionnelle période du cinéma allemand, que j'adore positivement. Il se fit un précipité de sentiments, de sensations, d'espérances, qui donna lieu à d'extraordinaires créations.

Patrick Mandon a dit…

Encore ceci, Corinne : depuis que, comme vous, j'ai entendu ce poème de Guillaume Apollinaire, que j'avais oublié, je suis hanté par la phrase : «J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes».
La poésie est encore capable d'ébranler les consciences, j'en suis la preuve : dans la durée d'à peine un mois, les mots de Paul Celan et ceux d'Apollinaire auront infiniment troublé le vieux gamin que je suis.

Corinne a dit…

Patrick, nous pouvons lire l'intégralité de l'article. C'est sans doute un petit souci localisé..
Il est vrai que votre article est très documenté, mais malgré cela je me demandais s'il existait une biographie de cette troublante femme afin de l'approcher d'un peu plus près. Quant à Appolinaire peut-être aimait-il aussi les femmes énormes dans les quartiers atroces ? Il me semble qu'il a fait là une inversion à dessein qui surprend autant qu'elle séduit. Je n'ai pas lu Paul Celan, il faut que j'y remédie. Cher Patrick, restez surtout ce "vieux gamin" de Paris qui nous surprend autant qu'il nous séduit lui aussi :-) !

JMT a dit…

Bien chers Corinne et Patrick,

Hier samedi, pas de texte, ni d’image. Seul le titre apparaissait.
.
Ce matin, je viens de visionner la vidéo mais aucun texte n’apparaît.
.
Apollinaire : en poésie, sa liberté créatrice et affranchie est un enchantement
de chaque instant. Ses romans érotiques, pour ne pas dire pornographiques,
choquent souvent mais cachent, à mon sens, une sensibilité esthétique rare.
Bref, explorer le monde d’Apollinaire reste un parcours initiatique que je me
promets de faire, un jour ou l’autre ; ah ! les promesses que l’on se fait !
J’ai toujours dans un coin de la tête son évocation du fait que “tous nous marchons
sur les morts”, mais je n’ai plus les références de ces textes.
.
Paul Celan : quelle émotion pour moi de vous savoir sensibles tous deux.
En résonance(s). Bigre, me voici tout tourneboulé, sur l’instant. Je m’éclipse avant
que de m’égarer dans la sensiblerie...

Heureuse journée à vous deux.

Corinne a dit…

Mes pérégrinations internautiques m'ont amenée ici http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/celan/celanpaul.html
"esprits nomades" ! J'y ai trouvé en quelque sorte une clé, une phrase de Paul Celan qui explique tout sans rien résoudre "pourquoi moi suis-je vivant quand tant d'autres sont couchés dans la pierre", le syndrome du survivant, dit de Lazare.. et un poème également, une autre clé

"Avec une clé changeante

tu ouvres la maison, dans laquelle

tournoie la neige des choses tues

Et au gré du sang, qui sourd

des yeux ou de la bouche ou de l'oreille,

ta clé change.

Change ta clé, change le mot,
qui doit suivre le tournoiement des flocons.

Au gré du vent qui te pousse en avant,

s'enroule autour du mot la neige"

Tourneboulée, oui Jean-Michel, c'est le mot, et honni soit qui sensiblerie y voit.

Amitiés à vous chers Jean-Michel et Patrick.

Patrick Mandon a dit…

Corinne, il y a certainement un mystère Celan, ou plutôt une magie, qui se déclenche à la lecture solitaire de ses poèmes. Mon expérience récente tendrait à le démontrer. Jean-Michel nous avait envoyé un article tout de sensibilité sur Paul Celan. Je l'ai lu, bien sûr, et je me suis plongé dans ses poèmes, difficiles et abstraits d'apparence. Or, à cette lecture, alors que les manifestations zélées d'affliction, les manipulations du chagrin et de la pitié par la voie cinématographique (cf le film La rafle) souvent m'irritent, j'ai parfaitement entendu la puissante évocation/convocation des morts, j'ai mesuré le désespoir de l'auteur, isolé du monde des vivants, «indigne» survivant, comme retenu, tiré en arrière par le peuple des ombres que sa conscience abrite. La langue de Paul Celan, si énigmatique, m'est apparue dans toute sa clarté : elle était la conversion, par les mots, de la tragédie de la déportation, de l'effroi, de la solitude.
Voilà peut-être ce qui pourrait constituer l'énigme Celan, mais aussi un peu de sa résolution.

Corinne a dit…

Le poète de l'incommunicabilité du pire.. Ce poème précisément, cette clé, même lorsque les mots, au prix de maints efforts (changements de clés) sont dits, la neige des choses tues s'y dépose à nouveau dans une valse sans fin. Une impossible libération. Merci de vos lumières Patrick, c'est ainsi que je l'avais compris également.

Patrick Mandon a dit…

Une œuvre, fondamentalement, c'est ce qui ébranle, c'est ce qui fait trembler les colonnes du temple, c'est ce qui nous met en relation avec un monde enfoui, avec un monde caché. Une œuvre, c'est dangereux et adorable.

JMT a dit…

"la tragédie de la déportation..."

C'est bien pire, Patrick, bien pire : l'assassinat programmé, la shoah par gaz, la shoah par balles. Au seul motif, au seul motif que nous sommes juifs. Six millions d'exterminés. Je ne sais que dire. Celan me dit les mots de l'indicible que parfois je comprends, en ce sens que je les prends avec moi ou d'autres fois que je ne comprends pas. Pas toujours facile, tout ça, mes amis. Sinon, tout va bien. Je vous ai, comme des présents si présents.

Patrick Mandon a dit…

JMT, ce que vous dites, dans votre dernier message, est révélateur d'une sorte d'effarement, auquel, croyez-moi, je suis très sensible. Il y a, chez vous, quelque chose d'un orphelin inconsolable.
De par le monde,hier, aujourd'hui, demain, tant d'orphelins inconsolables, et des chagrins innombrables.

Corinne a dit…

Cher Jean-Michel, je ne suis pas juive mais mon père l'est. A cette triste époque cela ne faisait pas de différence n'est-ce pas ? Ils n'avaient pas vraiment le sens des nuances. Je crois qu'il n'y a rien à comprendre et je ne prends rien, pas de pardon ni d'excuse, rien que le constat de la sauvagerie, de l'horreur. Et passés la torpeur, la colère, le désarroi, l'abattement, restent la compassion, immense, et la vigilance.

Anonyme a dit…

Non effectivement chère Corinne, cela n'aurait pas fait grande différence.
On a beau nous nommer deuxième, troisième, quatrième génération, peu importe, de cela nous ne nous remettrons jamais tout à fait. Comme nous ne nous remettrons pas de nos parents mutilés et de nos enfances lourdes de tous ces absents.
Bonjour à vous trois, quel plaisir de revenir chez tous les garçons, comme un amer dirait mon poète préféré.

JMT a dit…

Oui, Patrick, hier, aujourd’hui, demain, rien ne change.
Aucune différence, chère Corinne, comme le dit fort justement Nadia.
Oui, Corinne, oui, Nadia, c’est un privilège de se retrouver l’âme presque décomplexée chez tous les garçons, point d’ancrage (l’amer de Mallarmé, c’est ça Nadia ?) d’exception.

Corinne a dit…

Un bien amical salut à Nadia, heureuse de vous revoir par ici, et à tous, je souhaite, sinon de "joyeuses" tout au moins de chaleureuses fêtes de fin d'année avec ceux qui vous sont chers.
Mes amitiés à tous !

Patrick Mandon a dit…

Les amitiés de Tous les garçons à Corinne ainsi qu'à toutes et à tous.